One Piece - la série : la critique
One Master Piece
One Piece est l’adaptation du manga le plus vendu et lu au monde, y compris en France. Son thème, la piraterie, accompagnée des fantasmes qu'elle charrie (assez peu traité en manga, hormis dans Albator) n’est sans doute pas étranger à ce succès. Mais c’est sans nul doute l’originalité de son univers, le charisme de ses personnages et son graphisme surréaliste qui en font aujourd’hui une œuvre phare de la pop-culture. Monde parallèle ? Futur régressif ? Où et quand se situe cette histoire où des pirates sont habillés comme s'ils étaient en vacances ? Où des escargots remplacent les téléphones et où des mouettes livrent le courrier ? Aucune explication n’est livrée au lecteur, qui finalement se laisse rapidement emporter par les péripéties sans y réfléchir, malgré un synopsis simplissime : une hystérie collective incite des milliers de gens à chercher le trésor perdu d'un pirate.
La trame de One Piece ressemble à celle d’un RPG en open world : le héros (Monkey D. Luffy) débute l’aventure à la dérive sur un rafiot, sans le moindre bien, mais débordant d’enthousiasme. Sa progression dans un monde aussi vaste qu’un océan va lui permettre d’acquérir de l’expérience, du matériel, et surtout un équipage. Les personnages sont des archétypes de manga : le « ronin solitaire et mystérieux quasiment invulnérable », la « fille sexy à laquelle on ne peut pas trop se fier », etc. Cependant, leur personnalité est développée sur la longueur à travers des flash-backs jusqu'à les rendre attachants. Leurs adversaires, souvent ambigus, rarement "blancs ou noirs", se voient également traités avec une profondeur surprenante dans un programme a priori léger.
Dans cette drôle d'aventure, nos pirates sont portés par la motivation de Luffy, ce genre de héros innocent et naïf qui, logiquement, devrait mourir au bout de cinq minutes, s'il ne bénéficiait d’une chance relevant quasiment du surnaturel (son nom fait d'ailleurs penser à "lucky"). Tout du long, la série suit cette logique de jeu vidéo toute nipponne, où les boss toujours plus puissants s'accumulent en permettant au héros de se surpasser. Elle délaissera ainsi sa légereté pour devenir de plus en plus dark, à mesure que Luffy s'imposera comme un leader naturel. La logique de l'ensemble fait un peu penser à une cour d'école où "on joue au pirate", avant l'inévitable évolution vers le college, le lycée, et la vie adulte...
Toujours à l’affût d’un succès à adapter, Netflix s’est logiquement tourné vers One Piece. Premier constat, sans chercher la polémique : le réalisateur n’essaye pas de réinventer la roue, et physiquement le casting ressemble comme deux gouttes d’eau aux persos du manga. Ensuite, il assume totalement son côté loufoque, pour ne pas dire déjanté, un parti-pris ô combien casse-gueule (cf. l’échec de Cowboy Bebop). One Piece jongle en effet en permanence avec les genres (aventure, comédie, épouvante...) avec une cohérence assez bluffante. En outre, dans la plupart des fictions, les flash-backs font office de remplissage, mais ils exposent ici parfaitement les motivations de Luffy (et de ses camarades) en renforçant l’empathie et l’identification du spectateur à travers son humanité et ses rêves (qui n’a jamais eu envie de tout plaquer pour partir à l’aventure ?). Derrière l'alibi de la chasse au trésor et l'aspect fun, un message humaniste, une ôde au libre-arbitre et à la liberté transparait tout du long, en parvenant parfois presque à nous tirer une larmichette.
Alors, adaptation parfaite ? Non, la série souffrant des tares habituelles Netflix avec son aspect un peu cheap, mais pour une fois sans ce désagréable et agaçant fond idéologique asséné à coups de marteau, qui gâche souvent l'excellent travail d'adaptation fait sur les séries de la plate-forme (cf. The Witcher, The Sandman...). Mais aussi des angles larges qui permettent d'englober tout le décor dans un panorama, avec un "effet loupe" assez déconcertant. En outre, les épisodes sont un peu longs (huit épisodes d'une heure). Étant donné le rythme trépidant de l'intrigue, peut-être aurait-il mieux valu plus d'épisodes, et plus courts. Le troisième s'étire un peu en longueur (et s'étale en plus de cela sur deux épisodes), même si le suspense est rondement mené.
Voilà donc une histoire au postulat simple qui s'assume pleinement, sans artefact à reconstituer ou de quête tarabiscotée : un trésor, un seul, situé on ne sait où, et des milliers de pirates à sa recherche. Le prétexte à tous les rebondissements. Et donc One Piece, c'est du fun, mais pas seulement. C'est aussi l'histoire d'un véritable leader qui transpire l'innocence, la bienveillance et l'humanité, et une histoire d'amitiés fraternelles. Et par les temps qui courent, ça fait du bien.