Après Joker, The Batman poursuit la relecture sombre et réaliste des personnages de Bob Kane et Bill Finger, en contrepied des productions Marvel, et en creusant bien plus profondément que ne l'avait fait Nolan. De toutes les adaptations ciné du Dark Knight, cette version est sans doute la plus fidèle aux comics. Ambiance film noir et détective au programme, jusque dans l'utilisation d'une voix off qui n'est pas sans rappeler les polars hard boiled de Raymond Chandler. Matt Reeves puise allègrement dans Year One (la première année d'exercice de Batman) et Un Long Halloween (qui introduit le mafieux Falcone), mais n'hésite pas pour autant à reprendre le meilleur des autres films.
On peut ainsi discerner ça et là du Burton dans l'aspect gothique de Gotham City, qui a toujours représenté un personnage à part entière dans l'univers de Batman (oubliez les immeubles en verre désincarnés de Nolan), le cadre des élections municipales, les enjeux chaotiques finaux, ou dans les rapports "Je t'aime moi non plus" entretenus entre Batman et Catwoman. On peut aussi y ajouter des thèmes proches de ceux développés par Nolan, essentiellement le concept des vigilantes et des super-vilains masqués causés par l'apparition de Batman, et qui entraînent la disparition d'une Mafia "classique" (Falcone) au profit de fous masqués psychopathes.
Notons toutefois que ces éléments scénaristiques sont des grands classiques des comics. Se sont-ils inspirés des films de Burton, ou bien est-ce l'inverse ? L'œuf était-il là avant la poule ? Toujours est-il que Matt Reeves reste dans les clous de l'univers Batman sans chercher à réinventer la roue, comme un Schumarrer ou un Nolan avant lui (et non, je n'aime pas les Batman de Nolan).
Toutefois, The Batman fait avant tout et surtout penser à l'œuvre de David Fincher, et particulièrement à Se7en et Zodiac, à un point proche du plagiat où cela en devient parfois gênant (la pluie, le night club, la poursuite dans l'immeuble, l'examen de l'appartement...). Sans trop m'avancer, j'ai également noté quelques emprunts à la série de jeux vidéos Batman Asylum, dont la noirceur continue à influencer toutes les adaptations du personnage.
Et donc, de quoi ça parle ? Tout comme dans Joker, Gotham est une ville au bord du gouffre. Souvent plongée dans la nuit, ou sous la pluie, elle emprunte des teintes crépusculaires infernales dans ses rares périodes diurnes. Le film se base sur un méchant assez peu exploité dans les versions ciné, le Riddler, alias l'Homme-Mystère. Un super-vilain obsédé par les énigmes, plutôt ringardisé dans les comics avec son costume vert, son masque de Zorro et son chapeau-melon. Ce choix judicieux permet d'accentuer l'aspect détective de Batman, peu utilisé dans les autres films, à travers une série d'indices codés qu'il doit décrypter. The Riddler est ici campé par un psychopathe surdoué communiquant - le film se déroule à notre époque - via les réseaux sociaux. Oubliez le cabotinage de Jim Carrey dans Batman Forever : il est ici question d'une série de meurtres glauques façon Se7en, voire même Saw quand le film s'engouffre dans la logique tordue du Riddler. Le personnage est réellement flippant, dans son parti-pris réaliste digne des serial killers de Mindhunter (une production... David Fincher ! Décidément...).
Point de vue casting, malgré les appréhensions, Robert Pattinson campe un Bruce Wayne dépressif et monolithique, autant dire dans le ton. Toujours sur la brèche mais juste. Catwoman est on ne peut plus proche de sa version comics, dans son exposition étonnamment fidèle à celle de Frank Miller dans Year One (jusque dans la suggestion de son activité de prostituée et de sa bisexualité, même si le film reste timide sur ce terrain-là). Zoé Kravitz lui apporte juste ce qu'il faut de street attitude et d'impertinence, loin de la fadasse Anne Hattaway.
Sur la forme, le film a l'immense qualité de prendre le temps d'exposer son décor, ses personnages, de poser la caméra pour filmer les scènes en plan large sans montage frénétique. Les présentations des personnages sont subtiles, et cohérentes: Batman tarde à apparaître alors que le public, tout comme les gangsters, croit le voir dans chaque zone d'ombre... Quoi de plus logique ? Une durée de presque trois heures offre le luxe de s'attarder sur les personnages. Le film est ainsi truffé de petites idées sympathiques (Batman voyeur face à l'appartement de Sélina, Batman serrant Catwoman contre lui pour la protéger, Sélina en caméra embarquée, ou encore un Pingouin aussi pathétique que l'original !).
La musique de Michael Gioacchino fait quant à elle peser sur le film un couvercle de plomb avec son thème aux airs de marche funèbre, et là encore évoque parfois (pour être gentil) l'un des films de Burton et le thème de Catwoman composé par Danny Elfman. On regrettera peut-être la répétition du titre de Nirvana Something in the Way répété à tout bout de champ.
Au final, tout n'est pas parfait. L'action, bien que filmée en plan large et fixe, ce qui nous permet d'apprécier son déroulement, manque tout de même un peu de punch. A cet égard, la poursuite en voitures n'apporte rien du tout à part remplir la case "course de voitures", et s'avère même assez illisible. Le final n'est pas aussi épique qu'il aurait dû l'être, bien que la métamorphose d'un Batman - initialement vu d'un sale œil par la police dans son excellente exposition - en guide du peuple est assez joliment troussée, et fait écho à la conclusion analogue du Joker.